Publié le 24 Janvier 2021

Jacques Livchine
 
Je lis quelque part que le directeur d'une Scène Nationale ou quelque chose comme ça se plaint de voir que la foule se presse à Ikéa alors que son théâtre reste inexorablement fermé. Cher collègue, as tu remarqué que ton théâtre fermé touche l'intégralité de sa subvention et que toi- même tu touches l'intégralité de ton salaire .
C'est une pure folie surréaliste.
Moi même qui te parle, je viens de toucher des droits d'auteurs pour une pièce que je n'ai pas jouée, puisque tous les contrats prévus se doivent d'être honorés.
J'apprends même que les compagnies qui perdent des sous peuvent faire des demandes d'aide.
J'hallucine grave.
Ce Ministère que tant de fois nous avons honni est solidaire de nos déboires et insiste pour que nous survivions tous.
Alors quand je t'entends maugréer contre les hypermarchés ouverts, sache que si tu reçois encore l'intégralité de ton salaire c'est grâce à la belle quantité de TVA récoltée dans tous les grands commerces ouverts.
N'oublie pas que nous tous dans le théâtre public à but non lucratif, nous récupérons la TVA et que nous sommes de beaux privilégiés.
On t'offre deux ans de congé sabbatique.
Que veux -tu , dans toute l'Europe nos lieux sont fermés, car ils savent juste disent -ils que les interactions sont dangereuses et comme nous ne rapportons pas de TVA , et que le théâtre crée de la rencontre alors nous sommes les sacrifiés avec nos copains des restaurants.(Sauf en Espagne parait il).
Cher collègue, nous sommes des alchimistes, nous artistes, nous transformons allègrement la merde en or.
Nous sommes en train de vivre la magnifique opportunité d'inventer un autre théâtre moins conformiste, plus proche des gens, qui entrerait dans les maisons, les familles, qui occuperait la rue et la campagne, cher collègue, reconnais -le après le souffle de la décentralisation, nous nous sommes endormis dans un confort un tant soit peu bourgeois, nos programmations ne prennent pas trop de risque, elles se sont adaptées à la sociologie des classes cultivées, celles qui écoutent France inter et France Culture, sympathiques certes mais nous laissons au bord de la route 99% des Français.
Ils ne s'en plaignent pas, ils ont le Tour de France, la pétanque, les grosses têtes , les apéros, le jardin, la caravane
Cher collègue je vais m'arrêter car je pourrais te parler des pages entières du non public etc.
Je pourrais te parler d'une Scène Nationale exemplaire, le Channel de Calais ,
car les Scènes nationales pourraient être des outils extraordinaires et essentiels et ce serait le moment où jamais de se refonder sur de nouveaux paradigmes.

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Publié le 21 Janvier 2021

Chocho


Cette période en liberté surveillée pour toute la bande du Vistre nous a contraints à pratiquer l’art du mensonge et du camouflage pour continuer à nous voir. Pour nous prouver que c’était encore possible. Des tensions étaient apparues, les dealers ont été arrêtés et ont pris de lourdes peines, et dans la bande il y avait des soupçons de balances qui ne faisaient pas bon ménage avec l’amitié.

C’est bien plus tard qu’on a appris que les flics les avaient repérés depuis longtemps, ils ont profité de la mort de YR pour les arrêter. Nous nous retrouvions souvent le soir dans un lieu à l’écart pour fumer quelques pétards et faire de la musique, nous nous tenions à carreau le reste du temps. Plus soudés que jamais on a quand même fait quelques conneries, oh ! Pas grand-chose, une vitrine par-ci par-là, et un machin très rigolo, la bombe de mousse expansive dans une boîte aux lettres, fou rire garanti. Et un après-midi, un de nous est arrivé avec un canoé, à nous le Vistre. Nous voilà embarqués à cinq. Le Vistre était assez gros pour nous pousser vers la cascade de la Bastide que nous avons franchie sans trop de dégâts, on retrouve de nouveau Le silence et l’ombre des grands arbres, voilà le pont sur la route de Milhaud suivi de celui d’Aubord, Bernis, Vestric, Vauvert et une autre cascade assez haute pour casser le canoé en deux et tous à la flotte. Tout pré de la guinguette à Chocho* tenue par un anarchiste qui organisait chaque premier mai une immense fiesta. Je la connaissais bien, car mon grand-père, anarchiste aussi, nous y emmenait manger souvent. Et plus tard pour des fêtes en compagnie de CPF, ou de la fanfare du GAAM, mais ça c’est une autre histoire. Donc plus de canoé et pas mal de kilomètres à pied pour rentrer, mais ce coup si ça sentait la mer pas loin, un jour on y arrivera. Nous avions sur nous une forte odeur d’égouts, la tête pleine d’images d’aventures et l’envie de partir.
 

À suivre

 


* https://maitron.fr/spip.php?article154460

 

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Publié le 17 Janvier 2021

Secret 48

Ça y est je ne dégrave plus les écrans. Je suis à la « ©Marinoni » presse à emboutir. J’ai à ma gauche une pile de plaques en aluminium sans relief ma mission est d’avoir à ma droite la même pile de plaques avec des lettres en reliefs. Je prends une plaque je la positionne précisément sur la forme d’emboutissage et je pousse le tout dans la presse, à ma droite il y a un levier je l’abaisse le vérin se met en marche et presse la plaque, plusieurs tonnes le métal est repoussé au fond de la forme le gros manomètre devant moi m’indique la bonne pression une fois atteinte je relève le levier le vérin descend je tire le tout vers moi et je pose la plaque à ma droite. La pile de gauche contient environ quatre mille plaques. C’est répétitif monotone assez lent comme geste, rapidement j’ai l’esprit qui vagabonde dans une sorte d’hypnose. Le geste devient réflexe et le temps s’arrête. Une tache un lieu plus rien d’autres existe. Les plaques que l’on emboutit on les trouve dans les quincailleries, attention chien méchant, propriétés privées, chantier interdit au public, défense d’uriner contre le mur, palombières sifflez (celle-là me plaisait beaucoup). Il y avait aussi tous les rallyes automobiles, Monaco, Cévennes Monte-Carlo … De temps en temps je mettais dans la presse divers objets et aussi des végétaux pour faire des monotypes. C’était volé sur mon temps de travail on appelle ça une perruque travail pris au « grand patronat » mon grand-père.

 


Les autres de la bande du Vistre, à part ML qui est en taule, sont placés dans divers établissements de formation, le C.E.T de la route de Générac, le lycée agricole de Rodilhan, en section technique au lycée Duhoda, et divers C.A.P. dans des métiers très divers, il y en à même un qui est devenu gendarme ;

On avait vécu une sacrée aventure et certains furent marqués pour la vie, j’en fais partie.

 

À suivre

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Publié le 14 Janvier 2021

Secret 47
 



La suite après cet épisode un peu traumatisant, c’était une mise en liberté surveillée par la justice, la famille, et l’éducation nationale. Les vacances, je travaillais dans l’imprimerie de mon grand-père, au dégravage des écrans de sérigraphie, poste, sale, humide, bruyant, une punition, je pense. Imaginez une pièce sombre, un karcher très bruyant, on asperge les écrans après les avoir enduits de décapant, ça gicle dans tous les sens. Debout sur une palette pour ne pas mettre les pieds dans la gangue d’émulsion et d’eau, le décor est gris sale et tout prend cette couleur, y compris le bonhomme. Je soupçonne mon grand-père de m’avoir mis là pour montrer aux autres ouvriers qu’il n’y avait pas de favoritisme. Que cela ne tienne j’avais remarqué deux choses : si on resserrait le jet du karcher on pouvait faire des dessins sur les écrans, ça m’amusait pas mal et la deuxième, un accident et hop l’écran crevé, foutu il partait dans un autre atelier pour être refait sans passer par la case dégravage. Heureusement que j’allais au collège, là je pouvais m’échapper, pour retourner au 18 rue Général Perrier. Ça avait changé, les locataires étaient plus tranquilles, moins de dealers, moins de dope, juste de l’herbe locale. Et certains étaient des élèves des beaux-arts. Je voulais y rentrer, mon père voulait que je passe le brevet d’abord. Comme je l’ai déjà évoqué, j’ai eu le brevet en trois ans. J’allais voir de jeunes peintres Nîmois dans leurs ateliers, au bistrot, à la galerie Jules Salle, je découvris là tout un univers qui a énormément compté dans mon éloignement de la drogue et du milieu qui va avec. Bon ça ne s’est pas fait d’un seul coup, je prenais encore quelques acides, un peu de coke et de l’herbe, mais comme j’étais surveillé ça devenait de plus en plus rare. Il faut dire aussi que la mort de YR me pesait encore, un immense sentiment de culpabilité ne m’a plus quitté depuis. C’est des moments marquants et qu’on ne me raconte pas que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, ce qui ne nous tue pas nous poursuit longtemps.

 

À suivre
 

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Publié le 12 Janvier 2021

Secret 46
 

Le procès de la bande du Vistre a eu lieu dans la grande salle du tribunal, ce sont des audiences à la chaîne, les affaires se déroulent souvent rapidement, avec des avocats commis d’office. Le juge monsieur Toulzat nous demande d’entrer, je n’oublierai jamais sa tête quand il nous a vus en compagnie de Maître Pierre Richaud grand avocat de Nîmes (grand ami de mon père aussi).
« Comment des gamins ont trouvé assez d’argent pour se payer cet avocat ? » il a du se dire.
Alors nous avons assisté à une plaidoirie magistrale, avec effets de manches et voix d’orateur, du grand spectacle. Nous ne risquions pas grand-chose, car quasiment tous mineurs, sauf ML qui lui a fait quelques mois de prison. L’accusation de non-assistance à personne en danger n’a Pa été retenue, mais la détention de produits stupéfiants oui. À cette époque les mineurs avaient obligation d’avoir un suivi médical et d’avoir un adulte qui se porte garant de sa bonne conduite. J’ai donc été obligé de réintégrer le collège et mon père venait me chercher tous les soirs. J’étais surveillé en permanence. J’ai été ébranlé par toute cette affaire, j’ai calmé le jeu jusqu’au brevet et l’âge de 16 ans. L’affaire avait fait grand bruit dans le village, notre réputation en à pris un sacré coup et certaines personnes interdisaient à leurs enfants de nous fréquenter, ce qui a resserré les rangs de la bande du Vistre

 

À suivre
 

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Publié le 7 Janvier 2021

Secret 45

Un soir au jardin de la fontaine nous avions festoyé aux cafés arrosés. Les séances de vélo acrobatique s’étaient bien terminées, pas de chutes. YR était tellement ivre que je l’ai chargé sur mon dos jusqu’au 18 rue Général Perrier. Le grand escalier m’a paru très long, YR, d’un seul coup est devenue plus lourd j’ai senti qu’il venait de mourir sur mon dos. Je l’ai laissé chez lui, et tout à basculé dans une sorte de brouillard, les flics le commissariat de la ZUP, des affiches de films policiers, Delon et Belmondo, un gentil et un méchant, des gifles, une accusation de non-assistance à personne en danger, l’arrivé au poste de mon père et d’un avocat ténor du barreau. J’étais mineur donc j’ai échappé à la prison. ML lui est resté en garde à vue, et tous les autres mineurs ont été remis en liberté dans l’attente du procès. J’ai compris à ce moment le pourquoi on m’avait amené seul dans ce commissariat, comme j’étais le plus jeune ils m’ont cuisiné pour que je dise qui avait vendu la dope, car YR a succombé à une overdose. La suite je ne m’en souvient pas bien, un immense sentiment de culpabilité. (Non-assistance à personne en danger) Si j’avais prévenu les secours…
À 14 ans c’est un poids lourd à porter. Plus tard quand je suis retourné au 18 rue Général Perrier, BC avait écrit sur la porte de YR cette phrase :

« J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie »*.

 

La bande du Vistre au moins jusqu’au procès ne s’est plus reformée, les réactions des parents ont été variées, et plus ou moins dures.
 

À suivre
 



* Aden Arabie

Paul Nizan
« J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.
Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde.
À quoi ressemblait notre monde ? Il avait l’air du chaos que les Grecs mettaient à l’origine de l’univers dans les nuées de la fabrication. Seulement on croyait y voir le commencement de la fin, de la vraie fin, et non de celle qui est le commencement d’un commencement. »

 

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Publié le 5 Janvier 2021

Le jardin de la fontaine fermait le soir, nous avions fait un passage sur le côté pour y rentrer à la nuit tombée. Le jardin n’était que pour nous, un vaste terrain de jeu. Même si nous nous défoncions souvent, on avait gardé cette envie de s’amuser en bravant les gardes de nuit. C’est peut-être ça qui en a sauvé quelques-uns de la descente aux enfers du junkie. La nuit, le jardin de la fontaine servait à toutes sortes de gens, qui venaient draguer, vendre, s’exhiber ou tout simplement prendre une dose d’adrénaline. Le jardin, dans ces années-là n’était pas taillé et rangé comme maintenant, on pouvait facilement se fondre dans les taillis. Ça nous est arrivé plusieurs fois de dormir à la belle étoile et de nous réveiller au milieu des visiteurs. Le Bar du jardin s’appelait « le pavillon » le lieu de rendez-vous hors de la ville où l’on pouvait rester toute la journée. Le café arrosé, notre boisson favorite, pas chère et efficace pour se saouler, nous en buvions pas mal, et les soirées au « pavillon » se finissaient en toutes sortes de délires plus ou moins dangereux. La pratique du vélo sur les rambardes en pierre du jardin avait notre préférence, d’un côté l’eau cinq six mètres plus bas et de l’autre le sol à un mètre, c’est un exercice périlleux et riche en adrénaline. Personne n’est tombé ni dans l’eau ni sur le sol. Une autre activité en ville consistait à casser des vitrines comme ça pour la beauté du geste, certaines vitres explosaient en mille petits morceaux en faisant un bruit de grêle, d’autre se fracassaient en éclats vifs et tranchants et parfois le projectile rebondissait sans casser la glace, sur celles-ci on s’acharnait sans pourvoir leur faire la moindre fente.
 

À suivre

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Rédigé par jacques

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